La bête
|France/Canada - 2023|
|Science-fiction - Romance - Thriller|
|145 minutes - Couleur - v.o. : Français|
|Réalisateur: Bertrand Bonello|
Lorsque le
personnage de Louis (George MacKay) demande à Gabrielle (Léa Seydoux) de
retirer son gant et de lui donner sa main, il mentionne qu’il souhaite vérifier
si les mains des pianistes sont différentes, si elles ont plus de sensibilités.
Ce geste est plus qu’une tentative de séduction. À l’image de tout le film,
Louis vérifie que la sensibilité humaine n’a pas disparu. Car, à travers les
temporalités dépeintes dans le film, 1910, 2014 et 2044, une constante demeure. C’est l’envie contradictoire de remplacer la sensibilité humaine par la
sensibilité des machines: comme avec ces poupées de plus en plus évoluées qui en
viennent à exprimer leurs propres désirs.
En 1910,
Gabrielle et Louis vivent un amour qui transcende la pression sociale de
l’époque qui condamne l’adultère. Leur mort dans l’inondation de 1910 à Paris
et l’incendie des poupées en celluloïd présage un futur sombre. Les inventions
du début de ce siècle, on le sait, prirent part à la guerre de 1914-1918. À
travers, l’image de Gabrielle et de Louis noyée côte à côte, image à la fois
tragique et romantique, on semble nous dire que les images comme celle-ci, on
ne les retrouvera pas dans les autres temporalités du film.
Effectivement,
plus les temporalités nous amènent dans le futur, plus le sentiment disparait.
Lorsque Gabrielle meurt dans la seconde temporalité du film, des mains de
Louis, elle est toute seule dans la piscine, Louis lui se tient sur le pavé,
l’arme à la main. La caméra garde une distance, car le couple n’a jamais été.
L’ironie c’est ce que ce couple aurait pu être, les deux personnages subissent
la même frustration d’être seul. Louis l’externalise à travers ses vidéos, mais
Gabrielle l’a subie non moins. Tous deux ne font « l’amour qu’en rêve » comme
Gabrielle qui s’imagine Louis, les yeux fermés, en se faisant caresser par un
autre homme anonyme. La force de cette temporalité, c’est de se saisir
d’évènements traumatiques qui ne sont ni complètement contemporains ni
lointains. L’internet, les maisons connectées, les réseaux sociaux, les virus
informatiques jouent tous un rôle dans l’enfermement qui pèse sur le personnage
de Léa Seydoux. Le système de surveillance de la maison devient vite un moyen
par lequel ces moindres faits et gestes peuvent être épiés, à tout moment le
téléphone peut sonner pour l’interroger sur son identité. L’internet quant à
lui devient un repère de virus et de personnages Lynchien. Dans les faits, à
travers l’idée de l’espionnage à domicile et des vidéos troublantes, La bête
fait suite à Lost Highway.
La scène la
plus originale de cette temporalité demeure l’assassinat de Gabrielle. En
jouant sur les retours en arrière. Non seulement Bertrand Bonello remet en
question les acquis du cinéma et la manipulation des images, mais il parvient à
subtiliser à Gabrielle le statut de Scream Queen. Elle ne meurt pas sous nos
yeux, ni en criant, ni de la manière dont on s’attendait. Le progrès de la
technologie n’a donc pas seulement traumatisé nos personnages. Bonello démontre
qu’il a changé la manière dont nous devons voir le cinéma.
La
quatrième temporalité est située en 2044. Dans un futur qui reste éminemment
proche, mais qui permet de spéculer sur les avancées de l’intelligence
artificielle. Dans ce futur, les émotions sont vues comme des entraves à
l’efficacité. De la romance de 1910, à la frustration de 2014, on a franchi un
cap. Les personnages de Gabrielle et de Louis partagent encore moins l’écran et
le dénouement suggère que l’homme est devenu plus machine que la machine. La
poupée Kelly (Guslagie Malanda) a désormais envie de Gabrielle tandis que Louis
n’a plus d’émotions. Gabrielle sur qui le traitement de désensibilisation a
échoué se retrouve seule, peut-être à jamais, avec des sentiments qui
demeureront incompris par ceux qui l’entourent.
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