Lancelot du lac
|France/Italie - 1974|
|Drame médiéval|
|88 minutes - Couleur - v.o.: Français|
|Réalisateur: Robert Bresson|
Il y a quelque chose de fort à commencer Lancelot du
Lac sur l’échec de la quête du Graal et de le finir sur la mort de la plupart
des chevaliers de la Table ronde. C’est comme si la perte de l’immortalité
avait été que le premier engrenage menant vers une mort imminente. Dès le
début, l’ombre de la mort plane sur les chevaliers.
Lancelot du Lac, c’est aussi le film de Bresson qui
parle le mieux des relations interpersonnelles : celui dans lequel on apprend
le plus sur les rivalités ou les amours des hommes. L’échec de la quête du
Graal n’a pas eu pour effet que de confirmer la mortalité des personnages, elle
a aussi entrepris de défaire les liens qui les unissent. Lorsque Bresson nous
montre la fameuse table ronde, il énumère pour nous tous les chevaliers qui
morts ou disparus durant la quête du Graal. À ce moment, déjà l’inquiétude sur
la suite pèse sur les hommes. Ils n’ont reçu d’Arthur que l’instruction de
prier, à leurs yeux ils n’ont plus de buts.
Dans ce climat, il n’est pas surprenant de voir que
Mordred, le plus ouvertement lâche et déloyal des chevaliers d’Arthur gagne des
appuis. Bien qu’on lui soit difficilement sympathique, il est difficile de lui
donner tort d’ailleurs sur la mauvaise gouvernance d’Arthur ou sur le fanatisme
de Lancelot. Bresson met en scène lentement et implacablement la mutinerie de
Mordred qui grandit à travers des commentaires fourbes. Les joutes verbales
entre les chevaliers prennent une importance beaucoup plus grave que les joutes
à la lance que Bresson filme pratiquement au raz du sol et en usant d’un
montage répétitif. Il ne faut surtout pas voir Lancelot en espérant y trouver
des scènes de combats spectaculaires. Au contraire, Bresson prend le parti fort
intéressant d’éviter les images attrayantes de combats esthétisés. Lors des
scènes les plus violentes, il est souvent difficile de dire qui meurt et à quel
endroit.
Un autre aspect qu’il ne faut pas négliger dans ce
film, c’est la relation entre Lancelot et Guenièvre. Elle a son importance en
elle-même, mais également vis-à-vis des rivalités entre les chevaliers.
Lancelot est forcé de choisir à son retour, à cause d’une vision qu’il a eue,
entre Dieu ou Guenièvre. Ce dilemme en apparence ressassé gagne en vérité, par
la mise en scène de Bresson qui évite les pièges mélodramatiques. Guenièvre ne
se met pas en colère, elle blêmit, elle faiblit, elle se résigne et s’enferme
dans une tour du château. Elle se tourmente face aux décisions inconsistantes
de son amant. Si on la voit comme une demoiselle en détresse, Lancelot est à la
fois son dragon et son prince charmant, celui qu’elle espère, mais aussi celui
qu’elle craint le plus, car un refus de sa part est tout pour elle. Bresson
innove en montrant l’amour comme une condition qui enferme les corps, car cela
permet de montrer le désir des autres d’une manière tout aussi picturale.
Gauvain exprime son dégoût de voir les autres chevaliers espionnés et désirer
Guenièvre en regardant par la fenêtre de sa tour/chambre, mais il avoue plus
tard dans le film entretenir les mêmes passions. Il y a très peu d’espoir pour
Lancelot quand même son meilleur ami a des intérêts qui s’opposent aux siens.
Lorsque l’adultère est dévoilé (Guenièvre est la femme du roi Arthur) Lancelot
se sent l’obligation de la sauver, mais se faisant, il se met tout le monde à
dos même Guenièvre qui ne voulait pas être la source d’une guerre ni que son
amour soit un fardeau.
La fin de Lancelot du Lac est une des plus belles et
tragiques qui soit dans l’histoire du cinéma et quand on doit la comparer à la
fin de chacun des films de Bresson pour dire ça, je crois, bien que ça veut
dire quelque chose. Lancelot tue Gauvain sans le reconnaître, le coup de lance
fatale n’est même pas vu à l’écran : seulement les dernières volontés de
Gauvain, celles où il demande à Arthur d’être clément envers Lancelot. Il n’y a
rien de plus pertinent pour montrer le bris dans le tissu fraternel qui liait
ses hommes auparavant que cette mort pratiquement anonyme.
L’amour de Guenièvre et de Lancelot se termine sur la
capitulation, Lancelot remet Guenièvre à Arthur comme un père à un mariage.
Pour éviter les bains de sang et respecter le souhait de celle-ci.
L’embuscade tendue par le mutin Mordred contre les
forces unies d’Arthur et de Lancelot se solde par la mort des deux derniers.
Heaumes abaissés, ils meurent comme des anonymes, des corps parmi d’autres
comme dans une fosse commune reconnaissable (et difficilement) seulement aux
ornements sur leurs casques. Leurs armures leur servant aussi de tombeaux, on
se rend compte que peut-être Bresson les avait filmés si rarement sans
celles-ci pour montrer qu’ils avaient déjà le pied dans la tombe.
Le film se conclut sur le vol d’un oiseau. Peut-être
est-ce le même que celui qui chantait sur la branche à la fenêtre de Guenièvre
lorsque celle-ci vivait les moments les plus tendres de sa passion avec
Lancelot ? Il n’est plus sur une branche maintenant. Il ne chante plus et ses
traits sont indéfinissables parce que l’amour est définitivement mort.
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