Trenque Lauquen
|Argentine - 2022|
| Romance - Mystère - Drame|
|260 minutes - Couleur - v.o. : Espagnol|
|Réalisatrice: Laura Citarella|
Trenque
Lauquen débute sur l’enquête de la disparition de Laura par
Ezequiel et Rafael. Les deux hommes là cherchent sur la route de
station-service en station-service, sans peut-être se douter qu’elle ne
souhaite pas être retrouvée. On pourrait croire que le film emprunte la voie
déjà tracée de l’enquête policière ou journalistique, mais il n’en restera pas
là. Sans pour autant, faire disparaitre le mystère qui plane sur cette
disparition, il se révèle terriblement et méthodiquement humain. Et cela fait
peut-être partie des plus grands tours de forces du film de montrer comme
derrière chaque mystère que recèle il y aura avant toute une histoire humaine :
qu’il ne faut surtout pas tuer l’humain dans le mystère. Des scènes
tranquilles, où Ezequiel va chercher ses enfants ainsi que d’autres où les
personnages cueillent des fleurs ou discutent mélancoliquement au tour d’une
bière, nous le rappellent fréquemment dans ce film de 260 minutes.
Le premier de ces mystères,
c’est les lettres d’amour trouver par Laura à la bibliothèque de Trenque
Lauquen alors qu’elle prépare des émissions de radio sur les femmes qui ont
marqué l’histoire. En recherchant l’origine de ses lettres érotiques avec Ezequiel,
elle tombe en amour avec lui. Les lettres prennent alors une deuxième vie dans
une scène entre l’érotisme et le malaise ou Ezequiel en lit une à Laura. Ces
lettres prédestinent Laura à devenir une deuxième Carmen Zuna. Une autre femme
disparue juste au moment où l’amour florissait. De cet amour, qui ne durera pas
plus longtemps que celui de Brief Encounters (1945), il ne restera en
soi plus grand-chose qu’un seul baiser, et peut-être, l’étincelle qui poussera
Laura a cherché plus loin. Ce n’est pas si anodin, si parmi les nombreux
détails que Rafael, le petit-ami de Laura, n’apprendra pas, il y a ses lettres.
Le deuxième de ces mystères,
c’est la découverte d’un être dans le lac de Trenque Lauquen. En apparence, une
légende urbaine qui continue de donner des airs mystiques à cette ville Trenque
Lauquen. Ça devient vite plus lorsque Laura rencontre une femme qui lui semble
être une apparition lui demandant des fleurs. Elle ne se l’explique pas à
elle-même immédiatement : cette femme c’est à la fois ce qu’elle désire et ce
qu’elle désire être. C’est la chargée de l’enquête sur l’origine de l’être
sortie du lac. Le film ne sombre pas non plus là dans une dimension
fantastique, la créature ne nous sera jamais montrée. L’enquêtrice, Élisa, est
déjà en couple avec une femme nommée Romina. Mais, cela n’empêchera pas la
progression de scène doucement mélancolique et romantique comme la rencontre
dans un jardin ou une serre, qui n’est pas sans rappeler Vertigo (1958)
ou une scène où les deux femmes sont autour d’un feu. Lors de cette dernière
scène, on parle plus de l’aménagement d’une pièce pour la créature que de la
créature, elle-même. C’est la proposition de la création d’un foyer. Cette
douce partie d’un film qui s’échelonne sur la dernière heure prendra pourtant
une fin. Et l’Eden, dans la maison pour la créature sera, inutilisé. Dans, une
scène de simplicité, mais aussi d’une grande beauté, Laura en ouvrira la porte
pour constater le vide d’un avenir manquer même à travers l’espace pleinement
occupé de plantes. Peut-être aussi pour elle, un rappel de son avenir manqué
avec Rafael, et le projet de maison avec lui, qui n’avait pas plus abouti.
Le troisième de ces mystères,
le plus sous-jacent parmi tous, c’est la disparition de Laura. Le spectateur
qui s’attendait à ce que ce mystère soit résolu retournera aussi bredouille que
Rafael dans le bus. Car, à la manière de L’avventura (1960), le film ne
cherche pas à répondre aux fameux « qu’est-il arrivé ? » À notre fascination
morbide pour la disparition du personnage principal. Il nous répondra avec une
facilité toute naturelle qu’il s’agit d’un désir d’aventure, coupler d’un désir
d’émancipation. Le message était on ne peut plus clair dans les annotations
laissées dans un livre par Laura et que pourtant Rafael a choisi d’ignorer.
Laura demeure de bout en bout la même femme attachante, sociable et investie
que le film nous présente au début. Et en ce sens, le film demeure bien plus
optimiste que L’avventura (1960). Ce qu’elle cherche, quoi que ce soit,
elle le trouve. Près de la fin, Laura sur son cheval rappelle Godiva. L’image
de la femme qui s’est dénudée pour réduire les taxes des habitants de Coventry
prend une autre signification. Celle de l’émancipation et de la liberté. Laura
ne sera pourtant pas nue dans cette scène, peut-être, pour nous épargner le
malheur de devenir aveugle comme « Peeping Tom ».
Ainsi, Laura devient un des
personnages de son émission de radio sur la femme qui ont marqué l’histoire. Et
voilà qu’il n’est peut-être pas si anodin que la deuxième moitié du film soit
raconté à travers un enregistrement radiophonique de ses aventures. Dans sa
soif de mystère et d’aventure, étant arrivé au bout de ce qu’elle pouvait
trouver dans livres, comme en témoigne ses multiples tentatives ratées à
raconter « l’histoire de la femme russe », il a fallu qu’elle s’autodétermine,
qu’elle se réapproprie ses mystères, et qu’elle raconte sa propre histoire. Et
ce même si elle ne désirait pas que son histoire soit révélée au monde entier.
Elle se révélait à elle-même avant tout.
Comme la chronique des Cahiers
du Cinéma (numéro 807) l’a illustré, le cinéma argentin est en pleine
effervescence créative. Avec des films comme Trenque Lauquen en tête de file,
il est certain que l’avenir est prometteur. Leurs durées intimidantes ne sont
qu’un atout parmi tant d’autres, notamment la structure du collectif El Pampero
Cine, pour permettre de s’écarter des structures narratives étouffantes
héritées du théâtre et du cinéma commercial pour enfin épouser la liberté tant
au point de vue narratif que thématique. C’est tout à fait une joie de
constater que pour mériter une durée telle que celle-là, il n’est plus
nécessaire d’être un péplum ou une grande épopée romanesque. Avec d’autres
réalisateurs, par exemple Ryusuke Hamaguchi, il semble désormais plus que
jamais, possible de faire des fresques d’auteurs.

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