Foudre
|Suisse - 2022|
|Drame|
|92 minutes - Couleur - v.o.: Français|
|Réalisatrice: Carmen Jaquier
Lors de la première rencontre avec ses sœurs, la plus jeune des sœurs d’Élisabeth, Paule, s’exclame : « c’est un ange », l’autre, Adèle, s’exclame « non, c’est le diable ». Il faut voir cette scène du point de vue des sœurs d’Élisabeth et comprendre que celles-ci, n’ayant pas de souvenirs Élisabeth, croyaient voir leur plus vieille sœur, Innocente. La confrontation dans ces deux perspectives montre comment les parents ont tenté de démoniser Innocente aux yeux de ses plus jeunes sœurs et elle montre aussi la recherche qu’effectue le film pour tenter de distinguer le divin du démon.
La
fratrie présente dans le film est déjà de celles qui sont brisées et cela avant
le décès d’Innocente. L’entrée d’Élisabeth au couvent est probablement la
première de ces ruptures, car ces sœurs ne la reconnaissent pas lors de leur
réunion. Dans le film, les deux plus jeunes sœurs partagent des plans et des
moments ensemble, mais pas avec Élisabeth. La seule sœur qu’elle ait réellement
connue avant d’aller au couvent était Innocente. La tentative des parents pour
souiller la mémoire d’Innocente près des plus jeunes sœurs d’Élisabeth n’a fait
que marquer une rupture attristante entre ces deux générations de filles. Le
cri de Paule à la fin du film permet toutefois d’imaginer que les efforts
d’Élisabeth ne furent pas vains : faire taire une de leurs filles comme avec
Innocente et Élisabeth poussera les autres à se poser des questions et aller
au-delà des apparences imposées par les parents. Au fond, la fratrie peut
demeurer l’aspect le plus résilient d’une famille.
Ainsi
lorsqu’Élisabeth est rejetée de son couvent à contrecœur (son départ a même des
allures de funérailles), son amitié pour sa sœur la pousse à comprendre ce qui
lui est arrivé pour parvenir à faire le deuil de sa première fratrie. On veut
lui faire faire son deuil avant qu’elle puisse comprendre, son air peu
convaincu en prononçant le « memento » aux funérailles et son désir de prier
illustrent qu’elle n’accepte pas le commandement de ses parents et du curé de
tourner la page. En tombant, sur les journaux intimes d’Innocente, Élisabeth
découvre la raison de l’exclusion sociale sa sœur : sa liberté sexuelle face à
l’église trop puritaine. Dans l’érotisme des journaux d’Innocente, on apprend
qu’elle croyait avoir trouvé Dieu dans ses désirs et ses jouissances sexuelles.
Foudre dénonce la position de l’église à associer le désir sexuel au mal en
formulant donc que le désir sexuel est plutôt une manifestation de Dieu.
Lorsqu’Élisabeth en vient à abandonner sa pudeur pour s’adonner elle aussi aux
plaisirs sexuels, le film évite les clichés en demeurant plus axé sur les côtés
spirituels en incorporant des plans d’arbres, de montagnes, de nuages, et
érotiques en incorporant des scènes des plans de touchées et de nudités
totales, lecture à voix haute du journal intime d’Innocente. Carmen Jaquier ne
souhaite pas tant nous montrer la romance que nous montrer la jouissance et
l’apprentissage de son propre corps par Élisabeth : c’est pourquoi, dans les
scènes érotiques, souvent seulement les mains effleurant la peau sont montrées.
Carmen Jaquier n’écrit pas les actions d’Élisabeth comme une rébellion. En
tout cas, pas si on considère comme le film que la seule rébellion se ferait
contre Dieu. Élisabeth ne se rebelle donc jamais, car elle se rapproche de Dieu.
Elle qui se demandait au début du film si sa famille avait connu le malheur
parce qu’elle n’avait pas assez prié apprend qu’au contraire ses prières ont
été exaucées plus qu’elle ne l’espérait, car sa sœur s’est elle aussi
rapprochée de dieu.
Bien
des films ont essayé d’aborder l’érotisme et la religion. Mais, peu l’ont fait
en montrant les deux comme compatibles l’un avec l’autre comme le fait Foudre.
Dans Black Narcissus, l’émancipation sexuelle du personnage de Kathleen Byron
est proportionnelle à l’augmentation de sa folie causant sa perte.
L’équivalence la plus évidente ce fait avec Sous le soleil de Satan,
particulièrement le livre, la sexualité de Mouchette y est vu comme un obstacle
à la sainteté et comme une incarnation du mal sur terre. Foudre se différencie
ainsi de ses œuvres en refusant d’associer même la sexualité la plus libre au
mal. C’est donc un second regard que le film porte sur le passé en montrant le
puritanisme de campagne comme le vrai tueur et oppresseur et ce n’est pas
anodin que le film s’ouvre sur des images d’archives situées en campagnes
suisses. Ce qui marque dans le film, c’est que malgré l’emploi d’image
d’archives et la plus grande laïcité des pays européens, le propos reste
actuel. On peut citer l’Islam en exemple évidemment, mais je crois également,
que la « promiscuité sexuelle » est toujours d’une certaine manière mal perçue
et que l’héritage moral de la religion est toujours présent dans les jugements
qu’on y porte.
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