May December

 

|États-Unis - 2023|

|Drame|

|117 minutes - Couleur - v.o.: Anglais|

|Réalisateur: Todd Haynes|





Todd Haynes à l’habitude des mélodrames romantiques qui mettent en scène des couples refusés par la société. Dans Carol, c’était le couple formé par les personnages de Rooney Mara et de Cate Blanchett. Ici, on parle du couple formé par les personnages de Charles Melton et de Julianne Moore. Un couple formé d’une femme de 26 ans et de son élève de 13 ans, basé sur l’histoire de Mary Kay Letourneau et Vili Fualaau.

Mais, le film ne cherche pas à reproduire scène pour scène l’histoire qui est peut-être familière à certains. On est bien plus dans la spéculation que dans les faits et c’est ce qui fait une des forces du film. Après des adaptations plus ou moins réussies d’histoires semblables qui versent dans le sensationnalisme et dans le voyeurisme des tabloïds (voir Chouchou de Simon Boulerice). Todd Haynes se préoccupe de l’après-scandale. Le couple a des enfants et s’est reconstruit, après la peine de prison de Gracie.

Le film s’ouvre directement sur l’arrivée d’Elizabeth, une actrice jouée par Natalie Portman qui vient faire de la recherche pour interpréter le rôle de Gracie dans un film. Au-delà, de ce concept un peu qui serait chez un moindre réalisateur, un scénario propice aux blagues faciles. Todd Haynes propose plutôt une étude de l’imitation, du rôle éthique de l’acteur, sans oublier par passage obligé d’aborder les subtilités, contradictions du couple, et les répercussions que le scandale a pu avoir sur les proches du couple.

Il y a une scène où dans des ateliers communautaires, Gracie montre à Elizabeth comment composer un bouquet de fleurs. Les deux femmes commencent avec la même base composée de plante verte, mais en dépit des indications de Gracie. Le bouquet d’Elizabeth demeure foncièrement différent de celui de Gracie. Il en va un peu de même pour la composition d’un rôle. En partant, de la même base et des mêmes ingrédients, la créativité empêche d’atteindre ou d’approcher l’original, il en ressort que quelque chose clochera toujours. On le voit également lorsque Gracie maquille Elizabeth avec son propre maquillage. Les deux se regardent dans le miroir, conscientes de la mince ressemblance, mais aussi et surtout des différences. Et finalement, lorsque l’on voit, lors de la dernière scène, Natalie Portman reprendre les gestes, l’accent, les expressions de Gracie, on ne retrouve pas le personnage de Gracie telle que jouée par Julianne Moore. C’est rare dans un film que le réalisateur nous donne accès à cet écart entre l’original et la performance d’acteur, car cet écart enlève toute l’illusion de vérité créée par le jeu.

 

May December, c’est aussi comment Elizabeth est influencée par la recherche de son rôle. Elle dit lors de son entrevue avec des étudiants de l’école secondaire que parfois elle se demande si, dans le contexte d’une scène de sexe simulée, le rôle de l’acteur est de jouer l’extase et le plaisir, ou si ces deux émotions ne finissent pas par devenir réelles et que le rôle de l’acteur est plutôt de les contenir pour les exprimer à l’intérieur du jeu sans qu’ils débordent dans la vraie vie. Ce questionnement avec sa recherche du personnage de Gracie, elle le vit au moment où elle l’énonce. Lors de sa visite de l’animalerie, à l’endroit même où 20 ans auparavant, l’acte illicite de Joe et de Gracie a été commis, elle se touche et se fait plaisir. Il n’y a pas un doute que l’acte qu’elle commet à cet instant a bien plus à voir avec ses fantasmes à elle qu’avec son rôle en tant qu’actrice. Il en va de même de ses escapades avec Joe. Elle lui dit à un moment finalement comprendre ce que c’est que de « se cacher » avec lui. Ce moment, à bien plus à voir avec un jeu de séduction qu’avec son jeu dans son film. C’est ici que se pose le questionnement éthique sur le rôle de l’acteur. L’acteur doit-il être détaché de son sujet pour le jouer ou doit-il incarner son sujet ? Lorsqu’elle lit la lettre que Gracie à écrite à Joe, est-ce que, intérieurement, elle doit la lire de sa propre voix ou faut-il qu’elle la lise intérieurement de la voix affectée imitant Gracie qu’elle utilise lors de cette scène ? Ces questionnements éthiques sont sans réponses claires, ce qui d’ailleurs contribue à la force du film. Mais, il y a, à la lumière de la fin, encore une fois, un doute profond qui persiste sur l’utilité de la méthode de Elizabeth.

Conscient que son sujet est difficile et controversé, le film ne s’arrête pas à l’éthique de ses personnages sans s’assurer de remplir le rôle d’aborder le sujet chaud. Mais, l’avantage du film sur ce parcours semé de périls, c’est de ne pas s’arrêter aux évidences ni aux définitions légales des choses. Les raisons de l’amour entre Gracie et Joe ne sont pas éclaircies. Mais, à travers les entrevues d’Elizabeth, on entrevoit comment l’ex-mari de Gracie a vécu ce scandale et comment son fils s’est senti trahi et humilié. Il est impossible d’être indifférent, ou du moins de ne se poser aucune question à la vue de cette première famille délaissée. Elle teinte constamment d’une touche de gris les apparences idylliques de la deuxième et plus récente famille. Ces scènes n’occupent pas la plus grande partie du film, mais en ne les supprimant pas, Haynes s’assure que le passé ne soit pas totalement occulté par l’emphase sur le présent.

De la même manière, le couple de Gracie et Joe, ne reste pas inchangé à travers les évènements du film. Joe est celui qui remet le plus en question les évènements. Les débuts de leur relation, son vieillissement, celui de ses enfants qui son déjà plus vieux que lui lorsqu’il avait rencontré Gracie. L’arrivée d’Elizabeth et la recherche qu’elle entreprend notamment lors de leur promenade le changent et lui amènent un regard plus conscient et critique. Si bien qu’on commence à douter de lui lorsqu’il se dit heureux. Le film débute sur des chenilles et se finit sur l’envol des papillons. Ces insectes représentent métaphoriquement sa condition d’emprisonnement psychologique et après ça plus grande liberté.

Ce qu’on aurait aimé que le film fasse cependant, surtout à travers la discussion qu’il entreprend sur les responsabilités de la fiction vis-à-vis de la réalité, c’est qu’il consulte Vili Fualaau, l’homme ayant inspiré le récit. C’était la moindre des choses considérant le fait que le film ait aussi choisi de répliquer des photos d’archives du véritable couple.


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