Triple Agent
|France/Italie/Espagne/Grèce/Russie - 2004|
|Drame|
|115 minutes - Couleur - v.o.: Français (principalement)|
|Réalisateur - Éric Rohmer|
Triple
Agent est basé sur une histoire vraie, celle de Nikolai
Skoblin (Fiodor dans le film) et de sa femme Nadezhda Plevitskaya (Arsinoé dans
le film). Comme l’indique le générique commençant le film, il ne faut pas
essayer de retrouver cette histoire dans ce film de fiction. Les noms des
personnages ont été changés et à proprement parler, ce n’est pas un film
d’espionnage. En fait, il n’y a pas une seule scène d’espionnage dans le film.
Ce qu’on sait sur les actions de Fiodor, ce n’est qu’à travers ses conversations
avec sa femme et ses voisins entremêlé de ses propres commentaires concernant
les évènements antebellum de la Seconde Guerre mondiale. Un film d’espionnage
rhomérien ne pouvait être différent.
Ce qui intéresse Rohmer c’est
la mégalomanie de Fiodor et sa relation avec sa femme. Fiodor n’a aucune
crainte à admettre la plupart de ses activités d’espionnage à quiconque veut
bien l’entendre bien qu’il laisse tout le temps planer le doute sur ses véritables
motifs et ses véritables commandites. Ce qui semble le motiver c’est son
sentiment de puissance, et sa prétention de tenir entre ses mains le destin de
l’Europe. Lorsqu’il s’élance dans un monologue en décrivant comment il aurait
pu dans une conversation influencée sur la décision d’un personnage
politiquement haut placé, sa femme remarque qu’elle ne l’a jamais vu aussi «
exalté ». On ne saura jamais si cette impression de puissance est justifiée.
Néanmoins, on se souviendra qu’il en est convaincu au point de confesser un
moment à sa femme qu’il ne comprend pas pourquoi Dobrinsky (son supérieur) a
été enlevé et pas lui puisqu’il se perçoit comme plus intelligent et dangereux.
Tout le long du film, on se
demande si ce type d’homme préfère sa femme ou son pouvoir. Effectivement, il
semble porter un intérêt sincère aux scènes que celle-ci peint et n’hésite pas
à défendre sa position artistique face à celle des cubistes. Il porte également
intérêt à la maladie de celle-ci, percevant qu’il s’agit plus d’une fièvre. Aux
moments où elle se plaint des douleurs au pied, il n’hésite pas à tomber à
genoux pour inspecter lui-même, une posture qui me semble pour lui
inhabituelle. Il n’hésite pas non plus à quitter un cocktail lorsque la douleur
pour elle devient trop insupportable. Pour ce que ça vaut, son amour pour
Arsinoé semble se situer en dehors de son amour de la gloire. Pourtant, le
calcul de ses priorités semble apparent, la proposition qu’il fait Arsinoé pour
la guérir (retourner en Union soviétique) semble motiver par la possibilité d’y
acquérir une situation profitable à sa gloire. Très tôt face à une Arsinoé
troublée, dans son discours sa situation politique en Union soviétique prend le
pas sur les considérations médicales. Il se voit en Union soviétique promu
comme directeur d’une école d’instruction militaire et posséder une maison
donnant sur la mer Noire malgré ses précédentes allégeances impériales. Comme
il le dit, certaines personnes sont plus privilégiées que d’autres en Union
soviétique. Il ne croit pas plus au communisme maintenant qu’avant. Sait-on
s’il dit la vérité lorsqu’il prétend qu’il ne combattrait jamais pour
l’Allemagne nazie, il semble bien disposé à y accepter des dons douteux et à y
visiter un ministre ? Comme bien des personnages rhomériens, sa morale est
plutôt flexible.
Le dilemme que Fiodor
entreprendra lorsqu’il devra choisir entre sa gloire/vie et sa femme n’est pas
du film, seulement son effet y est présent. Car, comme ne l’indiquait pas
auparavant cette critique le film est dépendant du point de vue d’Arsinoé. Son trouble
lorsqu’elle tentera de répéter par fidélité les instructions l’alibi que Fiodor
lui avait appris, et ses larmes lorsqu’elle apprendra la fuite de son amant
parle assez vivement de l’erreur de Fiodor pour que son dilemme ne soit pas du
film. Sur le banc des accusés, pour complicité dans l’enlèvement de Dobrinsky,
la solitude d’Arsinoé frappe et répond à la question de mon paragraphe
précédent : il préférait son pouvoir à sa femme. Peut-être qu’on n’aurait pas
dû s’étonner de ce dénouement. Le film fait mention que Fiodor aurait un fils
en Union soviétique sans que ce fils soit vu ou entendu, laisse préfigurer
qu’il n’est pas étranger à abandonner sa famille pour préserver sa propre
situation.
La véritable Arsinoé, Nadezhda
Plevitskaya, est morte dans des circonstances similaires à celles du personnage
du film : c’est-à-dire de complications de sa maladie en prison durant sa
condamnation pour complicité. Son véritable rôle et son implication politique
semblent avoir été plus grands que celui d’Arsinoé. Mais, Rohmer rehausse
justement le dilemme et la qualité émotionnelle de son film en faisant
d’Arsinoé un personnage innocent et détaché dans la mesure du possible des
manigances politiques, européennes. Par exemple, elle n’est ni française, ni
allemande, ni soviétique, elle est grecque. D’ailleurs, peut-être que son
prénom est une référence à Arsinoé IV, jeune sœur de Cléopâtre VII, qui fut
exécuté sous les autres de cette dernière par crainte qu’elle ne soit
dangereuse pour sa revendication du pouvoir. Dans ce cas, elle pourrait
symboliser ce que Fiodor a sacrifié pour son pouvoir à lui.
Commentaires
Publier un commentaire