L'enlèvement (v.o.: Rapito)

 

|Italie/France/Allemagne - 2023|

|Drame historique|

|134 minutes - Couleur - v.o.: Italien (principalement)|

|Réalisateur: Marco Bellocchio|







L’enlèvement reprend les évènements véridiques concernant l’enlèvement et la conversion d’un garçon juif, Edgardo Mortara. On y retrouve également le récit des dernières années du règne de Pie 9 avec la perte des états pontificaux et l’unification de l’Italie.

 

En regardant ce film, c’est inévitable qu’on se questionne sur le boulevard et la station de métro en l’honneur Pie IX à Montréal. Mes recherches indiquent que c’est la faute du mouvement ultramontain. Comme quoi on ne s’est pas encore totalement débarrassé de la religion catholique.

 

Je me suis aussi demandé en regardant le film pourquoi les parents n’ont pas demandé l’apostasie pour leur enfant. Le droit canon permet maintenant de rejeter son baptême et d’être excommunié. Ce n’était pas impossible à l’époque, en théorie. En pratique, ça entrainait des sanctions telles que la peine de mort ou l’impossibilité d’être propriétaire. C’était considéré en somme comme une hérésie. Dans les états papaux, j’imagine que le pape aurait été en mesure de faire appliquer de telles sanctions. Tout ça n’est pas mentionné dans le film, je ne sais même pas si un enfant de 6 ans aurait pu demander l’apostasie, mais dans tous les cas ça met en perspective les idées tordues de l’église.

Le film de Marco Bellocchio est intéressant en ce qu’au-delà des faits de l’enlèvement, il présente une analyse de l’endoctrinement et de l’aspect sectaire des religions. Le jeune Edgardo ne sera pas maltraité dans le film. Il sera même accueilli chaleureusement et avec patience. Bellocchio filme les lieux et les messes de façon à illustrer la fascination, voire l’émerveillement, d’Edgardo face à ce nouveau milieu. Lors de sa rencontre avec ses parents, Edgardo leur assurera être bien. Il ne trahira ses émotions qu’avec sa mère, mais ce sera la dernière fois. Si ce n’était pas de l’intense scène d’enlèvement ouvrant le film ainsi que celles présentant les démarches effectuées par les parents d’Edgardo, il serait même possible de voir dans le film une position ambiguë.

Durant une scène nocturne rêvée, Edgardo enlèvera les clous sur la statue de Jésus dans la chapelle. Jésus y ressuscitera. Libéré, il commencera à marcher. C’est peut-être la première sincère émotion catholique chez le protagoniste. D’abord un moyen de survie, le dévouement aux études d’Edgardo deviendra passionné. La juxtaposition entre la défaite au procès de l’inquisiteur Feletti et la confirmation d’Edgardo met fin à l’espoir et nous dit que le film ne sera pas qu’un épisode de NCIS, d’où les hurlements du père. Le pape deviendra la véritable figure paternelle qu’il souhaitait être pour Edgardo. Cette dévotion/dépendance à la sorte de figure paternelle/protectrice qui est symbolisée par Pie IX est très caractéristique des sectes, comme le fait justement qu’il en oublie ses propres parents.

Une dizaine d’années après son enlèvement, Edgardo sera toujours aussi fidèle au pape. Durant une cérémonie, il le bousculera le pape par excès de zèle, le pape le forcera alors à faire devant tous ses camarades trois croix sur le plancher de l’église avec sa langue. Ce type d’aberration montre à quel point, à ce moment, Edgardo est dévoué pour le pape, prêt à suivre les moindres ordres sans pensée critique. C’est ce saut en avant dans le temps qui donne une bonne partie de sa profondeur au film. Edgardo ne se contentera pas d’être un docile suiveur du pape, il essaiera de convaincre sa propre famille de se convertir au catholicisme. Comme sa nounou le baptisa alors qu’il était malade enfant, il essaiera de baptiser sa mère dans ses dernières heures. Elle refusera, rejetant une dernière fois son fils, pour sa religion. Edgardo attendra dans le corridor loin de sa mère lorsqu’elle mourra pour de bon. La religion créée donc une véritable séparation entre Edgardo et sa famille. Bien qu’il soit évident que le film prend le partie des parents d’Edgardo, je ne parle pas seulement du catholicisme et de son fonctionnement en tant que secte. Toute religion au fond est une secte, pour toute la famille les idéaux judaïques sont autant une frontière que les parents d’Edgardo refusent de franchir que la loi canonique l’est pour le pape. Ainsi, le « non-possumus/on ne peut pas » formulé par le pape, est la même attitude que celle formulée par les parents. Au début du film, Edgardo se cache sous la robe de sa mère pour se protéger de la police papale et plus tard, il se cache sous la soutane du pape dans une partie de cache-cache avec ses camarades. Dans ces deux cas, l’aspect paternel/maternel revient, et avec lui revient aussi celui de la domination/de l’emprisonnement. La mère d’Edgardo n’a pas la prévenance de la mère de Simone, l’enfant malade. Cette dernière s’est « convertie » pour voir son fils plus souvent, mais le bijou judaïque qu’elle dépose sur le corps de son fils montre que son sacrifice idéologique n’est qu’une manière de prioriser sa famille.

Les parents d’Edgardo et le pape sont dans les faits, parmi les quelques personnages qui refusent de plier sur leurs positions. On voit nombre de personnages secondaires plier sur leurs convictions pour arriver à leur fin. Par exemple, le chef de la commission du quartier juif de Bologne (je m’excuse si je n’ai pas saisi son titre tout à fait correctement). Celui-ci s’agenouille devant le pape et soutient que la modération qu’il prônait auprès des parents d’Edgardo était une manière de bénéficier à Pie 9. Anna, la nounou d’Edgardo, modifie son discours devant le tribunal pour s’éviter des ennuis. Elle dit que le baptême n’était qu’une manière de protéger Edgardo, mais est-ce la vérité, auparavant dans le film elle est plutôt réticente à parler avec le père d’Edgardo ? Ce qui est fort probable, en revanche, c’est qu’elle a vendu Edgardo à Feletti pour pouvoir s’occuper de sa propre famille à elle.

Ce type de manœuvres et l’idée que tout le monde s’y adonne dans le film brouille les cartes et ajoute la dernière pièce à toute l’ambiguïté morale du film. Est-il moral d’abandonner sa famille pour sa religion ? Est-ce qu’il vaut mieux abandonner tout principe pour favoriser ses propres gains ? Bien sûr, c’est un faux dilemme, mais c’est aussi un faux-dilemme que personne n’arrive vraiment à résoudre dans L’enlèvement. Voilà qui révèle que le véritable problème est la religion elle-même et sa non-applicabilité aux situations de tous les jours.


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